Planification successorale, voir au-delà de la seule fiscalité !

décembre 2023 /

Bien souvent, les contribuables approchent la planification successorale uniquement par le prisme fiscal.

Peut-on leur en vouloir alors que la pression fiscale d’une transmission peut être particulièrement conséquente, voire confiscatoire, dans certaines situations.

Néanmoins, c’est oublier que sauf exception le droit civil tient le droit fiscal, malgré une autonomie accrue de ce dernier.

Loi successorale et règlement Successions

Ainsi, en matière de planification successorale, il est primordial de s’attacher à déterminer, voire anticiper, la loi successorale applicable qui régira sa succession.

En effet, à l’inverse du droit fiscal qui s’applique de facto eu regard à une situation patrimoniale et successorale donnée, il existe plus de liberté en matières civile et contractuelle.

En Europe, ledit « règlement Successions »[1] [2] s’applique aux successions ouvertes à compter du 17 août 2015.

Ce règlement ambitieux[3] a profondément réformé le régime des successions internationales et s’est donné pour objectif de simplifier le traitement civil des successions avec des éléments d’extranéité.

A contrario, le règlement exclut expressément de son champ de compétence la matière fiscale[4], laissant ainsi à chaque droit national la liberté de déterminer notamment les modalités de calcul des droits et paiement des impôts et taxes[5], cela en pratique sous réserve d’éventuelles conventions fiscales en la matière pour l’établissement effectif des droits à payer.

Il écarte également par exemple les questions liées aux régimes matrimoniaux et patrimoniaux, aux donations entre vifs, aux contrats d’assurance, au traitement des trusts, au droit des biens ou encore au transfert de droits réels.

Sa portée principale est qu’il établit un critère unique de détermination de la loi successorale applicable, celui de la résidence habituelle du défunt au moment du décès[6] [7], écartant ainsi en principe les situations de « morcellement de la succession » [8].

Certains correctifs sont prévus : les règles de renvoi, les notions d’ordre public ou encore de fraude à la loi.

Le correctif retenant principalement l’attention des praticiens en matière de planification est l’introduction de la « professio juris »[9] qui permet d’écarter la loi à défaut de la résidence habituelle du défunt au moment du décès au profit d’une option pour la loi de sa nationalité[10], au moment de l’option ou de son décès.

Pour les personnes concernées, il convient de mesurer l’opportunité et les impacts de cette option.

En cas de résidence hors de l’UE, l’étude de la situation à défaut, de la recevabilité d’un tel choix de loi et des alternatives éventuelles offertes par le droit local est indispensable.

Pourquoi la loi successorale est-elle si importante ?

La loi successorale n’est pas sans impact dans l’établissement d’une stratégie patrimoniale et plus précisément successorale, puisque c’est elle qui régit notamment :

  • la validité du testament,
  • la détermination des héritiers et parts de chacun, y compris l’existence d’une réserve héréditaire[11],
  • les règles de rapport et réduction,
  • les modalités d’acceptation et renonciation,
  • les modalités de partage,
  • les juridictions compétentes,
  • etc.

Quid du fiscal ?

La loi successorale en elle-même est sans impact direct sur le traitement fiscal de la succession.

Pour autant, elle peut avoir des impacts indirects fiscaux majeurs sur le traitement de la succession, en venant modifier à la baisse ou à la hausse le coût fiscal de la succession par le truchement des droits civils et fiscaux, par exemple en matière de taxation du conjoint survivant, du traitement des capitaux décès ou contrats non dénoués d’assurance, etc.

Actualités et incertitudes

Le règlement étant encore relativement récent, certains aspects seront assurément précisés par de la jurisprudence communautaire ou nationale, notamment quant à des situations complexes : appréhension des pactes successoraux, donation ayant valeur de partage, cas des renonciations anticipées à action, mandat posthume, validité des dispositions etc.

Différentes décisions ont déjà été rendues, par exemple sur le champ d’application du règlement[12], sur les effets du certificat successoral européen[13], sur la compétence subsidiaire du juge[14], en matière de renonciation à succession[15], etc.

L’arrêt récent CJUE, 12 octobre 2023, C-21/22 est venu utilement préciser qu’un ressortissant d’un État tiers est fondé, sur base du présent règlement, à opter pour sa loi nationale « non européenne » [16] dès lors qu’il est résident de l’UE, sauf primauté d’un accord bilatéral spécifique[17].

Cela confirme l’existence d’intéressantes possibilités pour les intéressés, mais interroge aussi sur certaines limites connues en cas d’application d’une loi étrangère, notamment tierce à l’UE.

Ainsi, l’éternelle question de la contrariété à l’ordre public international d’une loi étrangère[18], notion plus restrictive que la notion d’ordre public interne, reste d’actualité suivant les situations.

En ce sens, certaines dispositions nationales sont d’application incertaine au regard du présent règlement.

En France par exemple, la Cour de cassation[19] a considéré que, sauf incompatibilité manifeste, la réserve héréditaire ne relève pas en tant que telle de l’ordre public international français, et que la loi étrangère désignée (par une règle de conflit de loi notamment) doit être appliquée alors même qu’elle permettrait d’exhéréder (déshériter) des enfants du défunt français domiciliés en France.

Pourtant, le législateur français a introduit[20] à l’article 913 du Code civil un droit de prélèvement compensatoire sur les biens français venant mettre à mal le traitement des successions internationales.

Ce dispositif « protectioniste »[21] vise à garantir, sous conditions, la portée de la réserve héréditaire française lorsqu’une loi successorale étrangère méconnaissant le mécanisme protecteur de la réserve est applicable.

Mis en place semble-t-il pour lutter principalement contre les lois étrangères de droit musulman permettant de « déshériter » les filles, la doctrine majoritaire considère à l’inverse que ce mécanisme compensatoire frappe in fine les lois de pays de common law qui ne connaissent pas de réserve héréditaire, et non les lois étrangères de droit musulman qui certes prévoit des droits réduits pour certains héritiers mais pas une exhérédation totale.

Les praticiens restent perplexes quant à la constitutionnalité de ce texte et à sa compatibilité avec le règlement Successions. Néanmoins, le dispositif est présentement en vigueur, pose d’immenses difficultés pratiques aux notaires français et est annonciateur de contentieux successoraux. De surcroît, la réponse ministérielle du 21 novembre 2023 [22] n’a ni rassuré ni éclairé les conseils.

Ce mécanisme nécessite une stratégie étudiée pour des successions internationales susceptibles d’entrer dans son champ d’application, à la portée très élargie.

L’indispensable prise de conseil

Étant donné l’importance de la détermination de la loi successorale dans les stratégies de transmission familiale, la complexité de ces situations et la persistance dans certains cas d’une pluralité de lois successorales applicables (notamment d’États tiers au règlement), les équipes de Yours se tiennent à votre disposition pour approfondir cette thématique. Le règlement pourrait être amené à évoluer suite à des révisions encouragées par le Conseil des notariats de l’Union européenne (CNUE), aboutissement du projet MAPE successions.


[1] règlement européen n°650/2012 du 4 juillet 2012

[2]  ratifié par les 27 États européens, à l’exception du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni (depuis sorti de l’UE)

[3] fort de 84 articles et 83 « considérants »

[4] article 1

[5] considérant 10

[6] article 21, §1

[7] telle qu’entendue aux considérants 23 et 24 du présent règlement et sauf liens manifestement plus étroits avec un autre État (clause dite de sauvegarde)

[8] situation dans laquelle plusieurs lois sont applicables à une seule et même succession, en raison de la nature des actifs notamment (biens meubles et immeubles)

[9] appelée également « optio juris »

[10] article 22

[11] c’est la part minimale que doit, en vertu de la loi, recevoir un héritier dit réservataire (en pratique, enfant(s) voire conjoint), dans certains droits

[12] CJUE, 1er mars 2018, C-558 /16

[13] CJUE, 1er juillet 2021, C-301/20

[14] CJUE, 7 avril 2022 C-645/20

[15] CJUE, 2 juin 2022, C-617/20

[16] article 20

[17] art. 75, §1, cas Ukraine/Pologne par exemple

[18] article 35

[19] par deux arrêts du 27 septembre 2017 traitant des affaires Jarre et Colombier

[20] via la loi n°2021-1109 du 24 août 2021

[21] applicable depuis le 1er novembre 2021

[22] à la suite de la question de M. Habib